Mille gouttes opalines

Un senryū érotique chaque matin, pendant mille jours

Neuf-cent-cinquante-troisième goutte

Murs mous et muqueux
Un cauchemar génital
Blanc et fiévreux. 

Je ne sais pas si je suis une personne qui rêve plus qu’une autre, mais je suis en définitive une personne qui s’est entraînée à se rappeler de ses rêves. Surtout que, pour une raison que ma thérapeute pourrait peut-être me dire si je lui en parlais, je fais beaucoup de rêves érotiques. J’en ai d’ailleurs parlé dans Perdre haleine :

[…] je fais continuellement des rêves érotiques compliqués qui me transportent presque chaque nuit jusqu’à la lisière du jour et au bord de l’orgasme et il m’arrive même parfois de faire des rêves lucides où j’ai pleinement conscience d’être dans un rêve, alors quelle orgie ça devient, je m’en donne à cœur joie et je baise sans vergogne tous ceux et celles qui me font envie, mais ce genre de truc m’arrive rarement, la plupart du temps c’est involontaire et c’est l’orgasme qui me réveille – souvent quelques secondes avant que le réveille-matin ne sonne – et parce que c’est mon inconscient qui est alors aux commandes, je me retrouve dans des situations que jamais au grand jamais je ne souhaiterais consciemment, c’est vraiment troublant, je crois avoir eu des relations sexuelles en rêve avec tous les gens que je connais ou même que je n’ai croisés qu’une seule fois, sexe et âge confondus, et bordel à queue, ce n’est pas toujours agréable et là, j’emploie un euphémisme poli parce qu’en fait c’est souvent carrément traumatisant de me frotter à poil contre le cadavre embaumé de tante Yvette ou de me faire prendre en levrette par mon neveu de douze ans, c’est fou comme je me réveille souvent terrorisée en criant, sueurs froides au front, le corps traversé de frissons de terreur et tout le kit tellement l’horreur est profonde, on dirait que c’est la façon que mon subconscient a choisie de régler ses comptes […]

La conclusion d’Amants est aussi un rêve très troublant que j’ai fait alors que j’écrivais le livre. Je vous le raconte ici, comme ça vous n’aurez pas à voler le livre:

Il n’y a pas d’amour heureux. Il n’y a que les rêves – et moi, j’ai rêvé qu’il y avait un rhinocéros dans mon sous-sol.

Pour une raison qui m’échappe, j’avais la conviction d’avoir été une vilaine fille, qu’il fallait que je sois punie et que je devais descendre là-bas – même si je ne voulais pas y aller, car je savais confusément qu’il allait se passer là-dessous des choses terribles. Sous le tapis de ma chambre, il y avait une trappe. L’escalier était presque trop étroit pour moi qui suis si menue; comment un rhinocéros avait-il bien pu s’y faufiler ?

La cave était humide et l’air étouffant. J’avançai à tâtons en longeant le mur de pierre couvert de mousse. Après une dizaine de pas, je l’aperçus dans la pénombre. Il était énorme, gigantesque. Sa corne avait l’air affutée comme l’acier, mais en fait elle était douce au toucher, comme du velours. Je la caressai; elle était tiède et dégageait une odeur de musc et de jasmin. Elle avait une consistance qui n’avait rien à voir avec l’os ; on aurait dit plutôt un membre humain, avec des muscles et des tendons. Forte et tendre à la fois.

La suite du rêve est confuse. J’étais couchée dans la paille, sur le dos. Il a d’abord mis sa langue sur mon ventre, une langue baveuse et aussi douce que sa corne et qui était aussi large que mon bassin. Il l’a ensuite glissée entre mes cuisses et sous mes fesses, me couvrant de bave gluante. Ensuite, ce fut l’encornage — avec, en alternance, des coups de langue, comme pour apaiser le feu qui consumait ma chair. Un coup de langue, un coup de corne, pénétrant toujours de plus en plus loin, se frayant un chemin au plus profond de moi, un interminable pal contournant de justesse mes organes vitaux et se rendant jusqu’à ma tête, en me fendant comme un coin.

Je fus littéralement déchirée par l’orgasme. Quand je me relevai, se tenait à côté du rhinocéros une copie de moi-même, un homoncule né de la moitié gauche arrachée de mon corps. Elle reprenait forme en faisait des craquements mouillés, comme un scarabée qu’on écrase du talon. Je voyais sa jambe et son bras manquants repousser lentement, ainsi que le reste de son visage. Lorsqu’elle retrouva son intégrité, elle se tourna vers moi et me dit, avec ma propre voix : « Va-t’en et ne reviens plus. Je te laisse le sexe, je n’en aurai pas besoin. Je garde le cœur et je reste ici, avec lui. »

En me réveillant, je fus prise de panique, parce que je n’arrivais plus à prendre mon pouls.

À demain pour un autre tercet obscène.

Si l’envie vous prend d’appuyer financièrement ce projet, n’hésitez surtout pas à le faire!

Vous désabonner

Participez à la discussion !

En savoir plus sur Mille gouttes opalines

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture