Écrire un senryū
Aussi obscène que les
Sonnets de Baffo.

Vous n’avez probablement jamais entendu parler de Giorgio Baffo (1694-1768). Pourtant, vous devriez. Apollinaire l’appelait le « fameux vérolé » et le regardait « comme le plus grand poète priapique qui ait jamais existé et en même temps comme l’un des poètes les plus lyriques du XVIIIe siècle ». Poète et sénateur de la République de Venise, il fut, avec Goldoni, un des écrivains majeurs de la langue vénitienne. Alors comment expliquer qu’il soit si méconnu que mon Larousse et mon Robert des noms propres (qui, je l’avoue, datent tous deux de 1990, mais qui de nos jours achète un dictionnaire ?) ne le mentionnent même pas ? Pourquoi un tel escamotage ?

Ma théorie à ce sujet est fort simple : c’est que son œuvre toute entière est logée à l’enseigne de la vulve, ce qui, vous l’avouerez, n’aide pas à forger une réputation littéraire sérieuse. Baffo a écrit près de huit cent sonnets et il est difficile d’en trouver un où le mot « mona » (la noune) ou un synonyme ne revienne pas plusieurs fois. Et il est tout aussi rare que « cazzo » (bite) ne se retrouve pas à côté de la « mona » et que le foutre ne se répande pas avant le dernier vers. N’importe qui peut écrire un hymne au sexe féminin, et dieu sait s’il m’est moi-même arrivé de chanter les délices de l’abricot fendu. Mais le faire des centaines de fois, sans tomber dans la monotonie soporifique ? Cela tient véritablement du miracle et donne une mesure du génie de l’auteur. Je vous en offre un, histoire de vous mettre l’eau à la bouche :
La Femme possède un objet si bon,
Que tous le voudraient, tous le désirent ;
D’une foule de noms il s’appelle,
Mais le plus beau de tous est la Mona.
Oh ! comme ce nom-là sonne bien dans la bouche !
Rien qu’à la nommer le cœur s’enflamme.
C’est elle qui fait que la Femme est tant aimée,
Et que de l’Homme elle se rend maîtresse.
Elle a raison, si elle la tient bien serrée
Et comme une relique bien couverte,
Parce que c’est une chose bénie.
Ceux qui veulent la voir découverte
Ou qui désirent en toucher la fente,
Il leur faut lui faire leur offrande.
Les sonnets de Baffo ne circulèrent pratiquement que sous forme manuscrite ou orale, l’auteur s’étant toujours refuser de les donner à imprimer. Ce n’est qu’en 1771, soit trois ans après sa mort qu’un premier recueil fut publié par Lord Pembroke, un de ses grands admirateurs. Pourtant, Baffo fut une célébrité en son temps ; ses poésies manuscrites couraient la ville et étaient récitées par les jeunes gens de bonne société. Il mérite encore aujourd’hui d’être connu et apprécié, car c’est un poète dans la pleine acceptation du terme. Un poète obscène, soit, mais comme l’a écrit (encore) Apollinaire « dont l’obscénité est pleine de noblesse ».

À demain pour un autre tercet obscène.
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