Libations profanes
Viens tremper ton goupillon
Dans mon bénitier.

Goupillon? Bénitier? WTF? Voyons ce que le Dictionnaire de liturgie (catholique) de Robert le Gall nous dit à leur sujet.
De l’ancien français « guipon » : balai qui sert à laver le plancher. Le goupillon est un petit manche de métal, terminé à son extrémité par une boule de métal creuse et percée de trous, que l’on utilise pour les aspersions d’eau bénite. Il est adapté au bénitier portatif dans lequel il est placé. Quant au bénitier, il s’agit d’un récipient destiné à contenir de l’eau bénite. Il existe des bénitiers fixes, placés aux portes des églises pour l’usage des fidèles. Il en existe d’autres, plus petits et portatifs qui, munis d’une anse et assortis d’un goupillon, servent aux diverses aspersions prévues dans la liturgie.

La vraie question, la question fondamentale, la seule qui soit importante, est la suivante : pourquoi calice, hostie et tabernacle sont devenus de jurons – des sacres – au Québec et pas bénitier, goupillon, patène, manuterge, conopée ou custode?
Pour plusieurs sites (comme Je parle québécois), ces mots sont devenus des jurons pour leur caractère blasphématoire. Je veux bien, mais très objectivement, patène est aussi blasphématoire que calice. De plus, dans tous les jurons québécois, il n’y a probablement que «Christ» (que j’ai toujours laïcisé en employant la graphie «querisse») qui soit véritablement un blasphème; le reste n’est qu’emploi profane de noms d’accessoires liturgiques.
Non, la vraie raison – en plus de regimber sous le licou de l’Église, au temps où il existait – est que ces mots ont une valeur sonore percutante et bien adaptée aux émotions fortes comme la surprise, la colère, la joie, la déception. Autrement dit: ils ponctuent efficacement le langage.
Prenons hostie (prononcé ossssti). L’assonance sifflante de ce juron permet de le glisser dans n’importe quelle phrase, pour les initier ou les conclure. Le mot hostie est souvent même réduit à sa sonorité la plus efficace : le S. Quelqu’un pourrait dire «Je te dis que, ssss, on est vraiment dans la marde, ssss». Pensons à calice (prononcé kâlissss), qui non seulement a la même assonance qu’hostie, mais a l’avantage d’avoir en début de mot une consonne occlusive vélaire sourde qui ponctue à merveille l’expression de n’importe quelle émotion. «Câlisse qui fait beau à matin!», pourrait-on dire en se levant, un beau jour de mai. Idem pour Christ (crisse), qui lui aussi commence par un k et se termine par un sss.
Le paroxysme reste le mot tabernacle, prononcé comme tabarnak (souvent avec un bon roulement de R). C’est le juron de la colère par excellence, avec sa suite de consonnes percutantes qui donne l’impression d’une gifle ou d’un coup de poing au visage.
Voilà pourquoi les mots jubé, encensoir ou lunule ne sont jamais devenus des jurons: ils sont phonétiquement inaptes à devenir des interjections.


À demain pour un autre tercet obscène.
Si l’envie vous prend d’appuyer financièrement ce projet, n’hésitez surtout pas à le faire!


Participez à la discussion !