Mille gouttes opalines

Un senryū érotique chaque matin, pendant mille jours

Six-cent-neuvième goutte

J’ai un exemplaire
De Dom Bougre datant de
Dix-sept-cent-cinquante.

L’Histoire de Dom Bougre, portier des Chartreux est un roman érotique attribué à Jean-Charles Gervaise de Latouche, avocat au Parlement de Paris, membre de l’Académie des belles-lettres, sciences et arts de La Rochelle – et donc membre de l’élite respectable de la France de son temps. Publié en 1741 et immédiatement saisi par la police, le livre a été constamment réédité tout au long du 18e siècle. On raconte que Madame de Pompadour possédait un exemplaire de l’édition de 1848. On raconte aussi que Gervaise de Latouche, sur son lit de mort en 1782, a demandé l’absolution pour cet écrit de jeunesse.

Le roman raconte à la première personne la vie du moine B… (l’initiale de bougre, un mot de l’époque signifiant un adepte de la sodomie entre hommes), dont le vrai nom est Saturnin. Le premier rapport sexuel de Saturnin a lieu avec sa sœur Suzon et sa mère. Même s’il s’avère par la suite qu’il n’y a en réalité aucun lien de parenté, le texte annonce une série incessante de ruptures de tabous avec ce prétendu inceste. Au cours de nombreuses scènes humoristiques, Saturnin fera l’expérience de toutes les formes de désinhibition sexuelle, tout en se livrant à une critique de l’Église et de la société, en alternance constante.

Enfin, Saturnin rencontre sa sœur, devenue syphilitique, dans un bordel. Il l’aime sincèrement et passe la nuit avec elle, bien qu’elle le mette en garde contre le risque d’infection. Dès le lendemain, ils se séparent : Saturnin tombe malade et est castré de force pour sauver sa vie, Suzon meurt. Finalement, Saturnin se réfugie chez les chartreux où, libéré de toutes les passions, il peut attendre la mort, qu’il ne craint pas et qu’il ne désire pas. Le roman finit alors qu’il demande que «Hic situs est Dom Bougre, fututus, futuit» (Ici repose Dom Bougre, il a baisé, il a été baisé), soient inscrits sur sa tombe.

L’anticléricalisme presque bon enfant de L’histoire de Dom Bougre explique peut-être son succès. La morale ressort même fortifiée avec sa fin édifiante. Cela fit dire à Sade (qui était probablement jaloux du succès du livre) qu’il s’agissait d’une «production plus polissonne que libertine». À choisir, je préfère les polissonneries de Gervaise de Latouche à l’horreur sadienne.

À demain pour un autre tercet obscène.

Si l’envie vous prend d’appuyer financièrement ce projet, n’hésitez surtout pas à le faire!

Participez à la discussion !

En savoir plus sur Mille gouttes opalines

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture