L’agencement crée
Le désir, qui par la suite
Crée l’agencement.  

Selon Gilles Deleuze et Félix Guattari, on ne désire jamais quelque chose de spécifique, on désire un agencement.

Je ne désire pas la chemise, je désire une relation spécifique entre moi, la chemise, et le contexte dans lequel je peux la porter, un certain paysage, comme ils le nomment. Et ce n’est pas que je désire cet agencement, je désire à l’intérieur de cet agencement. Lorsque je désire boire, cela ne signifie jamais que je veux seulement boire, cela signifie que je veux boire dans un contexte spécifique ; avec des amis, ou seul en train de se détendre, pour se donner du courage dans une situation sociale, etc. Le désir s’inscrit toujours dans un agencement, dans un assemblage ou un ensemble, quel que soit le nom qu’on lui donne. Le désir est toujours quelque chose de constructif, il construit cet assemblage, lorsque quelqu’un dit «je désire ceci», il construit une réalité. Le désir ne vient pas d’un manque intérieur, mais est une force productive, et pour Deleuze et Guattari, nous sommes des machines désirantes.

Cet argument découle d’un désaccord avec la psychanalyse que Deleuze décompose en trois points :

Un: l’inconscient n’est pas un théâtre de représentation. C’est plutôt une usine, il produit sans cesse.

Deux: le désir est étroitement lié au délire, dans une certaine mesure désirer signifie devenir délirant. L’action délirante pour Deleuze n’a rien à voir avec ce que les psychanalystes en ont fait, ce n’est pas quelque chose qui se produit à cause de votre relation avec votre mère ou votre père. Au contraire, on délire sur le monde entier, sur tous les aspects du monde, la race, le climat, l’anthropologie, l’histoire, etc. Il s’agit d’un délire géographique et politique, et non familial. C’est pourquoi, lorsque nous voyons quelqu’un qui est devenu «fou», il est incroyablement réducteur de dire: «C’est à cause de votre relation avec vos parents». Nous devons plutôt situer cette personne dans l’assemblage complexe du monde dans lequel elle vit. Je ne suis pas déprimé à cause de quelque chose qui s’est passé dans ma jeunesse, la raison s’explique beaucoup plus précisément par les positions sociétales, politiques et géographiques dans lesquelles je me trouve en tant qu’individu. Cela ne veut pas dire que la jeunesse n’a pas d’impact, mais réduire tous les problèmes psychologiques à la famille, comme l’a fait Freud, est réducteur de la complexité d’un individu.

Trois: le désir se constitue toujours au sein d’un agencement, jamais à partir d’un seul facteur.

Le mot agencement implique la disposition d’éléments, la construction. Agencer signifie quelque chose comme joindre deux choses pour en faire un tout, il y a une différence subtile ici. Un arrangement n’est pas la même chose qu’une réunion commune, un agencement forme une unité à partir de parties, alors que l’arrangement est une disposition d’éléments hétérogènes. Il s’agit donc d’une multiplicité et non d’une unité, il n’a pas d’essence, pas de qualité essentielle qui lui permette de former une unité, il s’agit simplement de l’événement d’une réunion.

Cette distinction est importante car la fonction du concept d’agencement est précisément d’être une alternative à la logique de l’unité. Une unité est un ensemble organique dont toutes les parties travaillent ensemble pour reproduire son unité, par exemple un corps. Tous les organes travaillent ensemble en remplissant leur fonction afin de créer l’harmonie de l’organisme entier qu’est le corps. Le cœur en dehors du corps ne fonctionne pas comme un cœur, et le corps sans cœur ne fonctionne pas comme un corps. Ce dont ces parties font partie est donné à l’avance. Elles sont ce qu’elles sont en raison de la fonction préconçue qu’elles ont au sein de l’unité préconçue du corps. Une unité n’est donc pas ouverte à une recombinaison qui redéfinirait non seulement l’unité, mais aussi la fonction de la partie. Les parties n’existent qu’au sein d’une structure cristallisée de cette unité. Dans le cas d’un agencement, les parties existent indépendamment de leur unité et deviennent des machines.

Vous n’avez rien compris à ce que je viens de raconter? Ce n’est pas bien grave: Sluggo non plus, alors vous n’êtes pas seul·e.

À demain pour un autre tercet obscène.

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