Mille gouttes opalines

Un senryū érotique chaque matin, pendant mille jours

Cinq-cent-trente-neuvième goutte

Imitant Baubo
Je t’exhibe ma cramouille
Pour te dérider. 

Baubo (grec ancien : Βαυβώ) est une figure mineure de la mythologie grecque qui n’apparaît pas dans les sources survivantes avant le quatrième siècle de notre ère. Un fragment d’Asclépiade de Tragile indique qu’elle est l’épouse de Dysaules, qu’ils ont eu deux filles – Protonoe et Nisa – et que le couple a accueilli Déméter dans leur maison.

Dans dans l’Hymne homérique à Déméter, nous apprenons que la déesse Déméter est désespérée parce qu’elle a perdu sa fille Coré, enlevée par Hadès, le dieu des Enfers. Déméter a pris l’aspect d’une vieille femme en deuil. Elle erre sur la Terre pendant plusieurs jours, avant d’arriver à Eleusis, non loin d’Athènes. Là, elle est accueillie par Métanire, épouse du roi local, mais, immobilisée par la douleur, elle refuse de boire et de se nourrir. C’est alors qu’intervient une servante nommée Iambé : elle lance à la déesse « mille paroles joyeuses », dit le texte. La nature de ces bouffonneries n’est pas précisée, mais on devine que Iambé (dont le nom évoque la poésie iambique, c’est-à-dire satirique), profère des plaisanteries obscènes. Une obscénité efficace, puisque la déesse sort enfin de son mutisme et accepte la boisson qui lui est proposée.

Statuette dite de Baubo, terre cuite, Iᵉʳ-IIᵉ siècles apr. J.-C.

Dans une autre version de ce mythe, racontée par les auteurs chrétiens Clément d’Alexandrie (vers 150-215), Arnobe (vers 240-304) et Eusèbe de Césarée (vers 265-339), l’humoriste d’Eleusis se nomme Baubo. Elle allie cette fois le geste à la parole : elle retrousse sa tunique pour montrer sa vulve à la déesse. Surprise par ce spectacle inattendu, Déméter y trouve une soudaine consolation et sort aussitôt de sa torpeur.

Pour l’ethnologue Georges Devereux (1908-1985),l’interprétation de ces textes est relativement transparente: la vulve est un antidépresseur; il fait rire même les déesses. La vulve rappelle aux femmes en deuil que la mort d’un enfant n’empêchera jamais les suivants de naître. Aucun hiver n’est définitif. Rappelant à Déméter ses fonctions reproductrices, Baubo lui explique par geste que l’énergie de la vie se trouve là, au creux de notre corps. «Profites-en», lui dit-elle en silence, montrant ce que Clément d’Alexandrie nomme «le jeune Iakchos», c’est à dire l’enfant virtuel que nous portons toutes en nous, source de jeunesse éternelle.

Il y a une forme de transgression libératrice dans le fait de montrer les organes génitaux. En se dénudant sans aucune inhibition, Baubo brise un tabou si joyeusement que ceux et celles qui la voient, contaminés, ne peuvent que se sentir réconciliés avec leur propre corps. Baubo leur renvoie en miroir l’image d’un être épanoui, pleinement conscient de ses pouvoirs, fier d’avoir entre les cuisses une fente large et généreuse. Volontairement provocante, Baubo fait sauter les verrous, en agrandissant à deux mains cette vulve aux dimensions quasi sacrée d’une mandorle – la porte de vie.

À demain pour un autre tercet obscène.

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