Gang bang de banlieue :
Le gentil, le bon, la brute,
Et le sodomite.

Le gang bang est de ces pratiques qui, par le simple fait d’exister, soulèvent des questions imprévues au sujet de la sexualité. La première concerne évidemment le nombre: il faut combien de participant·es pour qu’il y ait d’un gang bang ? La réponse officielle est cinq – ce qui fait que mon senryū est un gang bang seulement s’il est décrit du point de vue de la dame qui s’amuse avec ces quatre messieurs. S’il y a quatre participant·es, c’est une partie carrée et s’il y en a trois, on parle de triolisme.
Les autres questions se sont posées lorsqu’on s’est mis brièvement à faire du gang bang un sport de compétition. Entre le milieu des années 90 et le début des années 2000 s’est déroulée une curieuse saison dans l’industrie de la pornographie: celle des records de gang bang. C’est comme si on avait voulu répondre à la question que probablement personne ne s’était posée auparavant: avec combien d’hommes une femme peut-elle avoir de relations sexuelles consécutives avant de déclarer forfait? Est-ce qu’on peut faire de cette performance un sport? Et surtout: si on filme le tout, est-ce qu’on va faire du cash?
(Spoiler alert: tout le monde en a fait, sauf certaines actrices à qui on n’a pas remis toutes les sommes promises – et les acteurs à qui de toute façon on n’avait rien promis du tout.)
Le gang bang comme discipline sportive s’est heurté à des problèmes importants, dont le plus immédiat fut de recruter le nombre suffisant d’hommes disposés à tenter l’expérience. Il s’est avéré que c’était loin d’être simple de recruter des centaines de types, de les tester pour les ITSS et de les rassembler tout nus au même endroit. Qui l’eut cru ? Dès la première tentative (celle d’Annabel Chong, dont je parle plus loin), il fut décidé qu’on allait réutiliser ces messieurs tant qu’ils allaient être capables de bander. Ces recordwomen n’ont donc pas eu des centaines de partenaires consécutifs, mais bien des centaines de relations sexuelles, ce qui est bien différent (mais quand même tout aussi impressionnant, il faut bien l’admettre).
Le «recyclage» des hommes entraîne toutefois une nouvelle question: puisque ce sont les relations sexuelles qui sont comptées, qu’est-ce qui compte comme une relation sexuelle ? Les records de gang bang faisant résolument partie de la pornographie hétérosexuelle, ont pouvait difficilement considérer que le sexe oral et la masturbation autrement que comme des préliminaires; seule la pénétration pouvait compter dans ce contexte. Il fut donc résolu que par «relation sexuelle» on entendrait la simple introduction d’un pénis dans le vagin ou l’anus. Dans le cas de Houston Halsey, on a aussi fait participer des dames munies de gode-ceinture, alors le pénis lui-même n’était pas obligatoire, ni l’éjaculation (qui n’était pas vraiment désirable à tout pris puisqu’elle a tendance à rendre les hommes non-réutilisables pour un bon laps de temps). Dans les éditions polonaises (dont je parle plus loin), on a même statué que la pénétration devait durer au moins trente secondes pour compter.
Voici donc, en ordre chronologique, les détentrices du record du plus gros gang bang qui ont, l’une après l’autre, repoussé les frontières de ce qui est sexuellement soutenable. Pour commencer, il y a Annabel Chong qui en 1995 a cummulé 251 pénétrations consécutives en dix heures. L’événement avait fait à l’époque grand bruit, ce qui avait valu à Annabel Chong un passage à la très populaire émission de télé The Jerry Springer Show. Un documentaire lui fut ensuite consacré, intitulé Sex: The Annabel Chong Story et réalisé (certains diront,très mal) par Gough Lewis en 1990. Elle ne reçut jamais les onze mille dollars qu’on lui avait promis.

L’année suivante (soit en 1996), c’est Jasmin St. Claire qui a accepté de relever le défi de briser le record établi par Annabel Chong. Résultat: 300 pénétrations en une douzaine d’heures. Evan Wright, un journaliste témoin de l’exploit, raconte:
L’événement a débuté sur un plateau décoré de palmiers en papier et de lampes tiki. Une centaine d’hommes se sont présentés. Il s’agissait d’authentiques amateurs, d’un échantillon représentatif de l’humanité qui aurait pu être prélevé sur une liste de chômeurs : vieux, jeunes, gros, chauves, maigres. Ils portaient des chaussures de tennis et des bottes de travail, mais pas de pantalons ni de sous-vêtements, et ont été rassemblés par groupes de cinq le long de lignes scotchées sur le sol en béton. Une demi-douzaine de fluffers s’agenouillent près des lignes scotchées et préparaient les hommes pour leur rencontre avec Jasmin. Celle-ci était allongée sur une estrade basse et on pouvait à peine l’apercevoir à travers les amoncellements de culs poilus qui s’agitaient autour d’elle. Les mains de Jasmin s’agrippaient à des érections tandis que les hommes l’encerclaient, baisant sa bouche, son vagin et son cul. Les équipes de baiseurs disposaient de cinq ou dix minutes avec Jasmin. Ils portaient des préservatifs lorsqu’ils la pénétraient. Ils les retiraient pour éjaculer sur son ventre, ses cuisses, ses seins, son visage ou dans ses cheveux bruns, épais et ondulés. Lorsque les hommes avaient terminé, ils s’asseyaient sur des gradins au bord de la scène ou se promenaient en se branlant maladroitement dans l’espoir de raviver une érection qui leur permettrait de remettre ça.

Jasmine St. Claire ne conserva pas longtemps son record, puisqu’il fut battu trois ans plus tard, en 1999, par Houston Halsey. Annoncé comme le «Houston 500», la dame dépassa son objectif et atteignit 620 pénétrations. Un témoin de l’exploit raconte que qu’il n’y avait qu’une centaine d’hommes sur place, ce qui explique le recours aux dames munies de strap-on pour palier aux érections défaillantes. Il conclut en disant:
En fin de compte, l’événement devient l’équivalent de la plupart des Super Bowls, avec beaucoup de battage médiatique, mais finalement ennuyants à regarder. Il n’y avait rien de dramatique à assister au 302e acte sexuel de Houston, qui venait battre le précédent record. […] Le phénomène du gang bang va-t-il se poursuivre ou l’arrivée de l’an 2000 va-t-elle mettre un terme définitif à cette mode ? Cela pourrait être l’un ou l’autre : après l’acharnement dont Houston a fait l’objet, il semble que l’on ait déjà atteint le point d’exagération inutile. Mais la pornographie est le plus jetable des biens artistiques, et il ne fait aucun doute que les hommes en redemanderont bientôt.

Il avait raison, parce l’exploit fut tenté de nouveau par Sabrina Johnson qui, en deux jours (les 28 et 29 décembres 2000),se serait rendue au nombre impressionnant de 2000 pénétrations, sauf que… toute la chose fut marquée par des irrégularités et des arnaques, si bien qu’on dirait que la terre entière ait décidé qu’il était préférable d’oublier toute cette affaire. D’abord, parce que Johnson (comme Chong avant elle), n’a pas reçu l’argent qu’on lui avait promis. Ensuite parce que pour elle, l’expérience fut un cauchemar :
Danny [le producteur] m’avait promis toutes sortes de choses qui ne se sont jamais produites. Par exemple, on m’a dit que personne ne serait autorisé à travailler avec moi dans le gangbang s’il avait un test PCR/ADN datant de plus de 21 jours. Par mesure de précaution supplémentaire, mon mari vérifiait tous les tests. Il a trouvé trois tests qui n’étaient pas dans les délais. Par la suite, Danny a continué à venir avec des tests périmés en me demandant si je pouvais les accepter. On m’a également dit que personne sans brassard ne pourrait monter sur le ring avec moi. Le deuxième jour, quelqu’un l’a fait. Heureusement, je l’avais reconnu la veille, mais cela aurait pu être n’importe qui.
[…] Tout cela n’était qu’une imposture totale. Il y avait environ 25 types le premier jour et environ 14 le deuxième. Si je devais deviner, je dirais qu’en toute légitimité, je me suis probablement tapé environ 500 hommes (mais pas des hommes différents), j’avais insisté depuis le début sur le fait que je voulais le faire en toute légitimité. Je voulais faire 2000 en 24 heures. Danny a dit que ce serait trop dur pour l’équipe de tournage, mais ils ont tous dit que si j’étais prêt à le faire, ils seraient à mes côtés. Quoi qu’il en soit, nous avons à pein pu recruter 25 types parce que Fleshtone [la compagnie de production] n’a pas payé à Jim South [agent artistique et recruteur pour l’industrie du porno] son acompte à temps pour qu’il puisse rassembler les gars. Je crois qu’il avait 7 jours pour réunir les gars. Tout cela a été tellement mal organisé par Fleshtone qu’on en rirait si ce n’était pas si triste.

Ensuite, il faut accorder une mention d’honneur à l’actrice Spantaneeus Xtasy qui quelques mois avant se serait tapé 501 pénétrations, ce qui est moins que le record établi par Houston, mais ne l’a pas quand même pas empêché de réclamer la palme pour une raison restée obscure.

C’est alors de les gang bangs format marathon sont déménagés en Pologne et que ce type d’événement est devenu un sport, en quelque sorte. La boîte de production Pink Press a organisé (à ma connaissance) trois événements. Le premier prit la forme en 2002 d’une compétition à trois entre Klaudia Figura (Pologne), Maraya (Brésil) et Claire Brown (Royaume Uni). La polonaise a remporté la médaille d’or en atteignant 646 pénétrations.

En novembre 2003, Pink Press organisa une seconde compétition et c’est la polonaise, Marianna Rokita, qui a remporté la coupe avec 759 pénétrations, alors qu’elle affrontait les porn stars locales Paulina et Natalia. L’année suivante a eu lieu le troisième et dernier championnat, alors que l’américaine Lisa Sparks, avec ses 919 pénétrations en douze heures, a vaincu la brésilienne Maraya qui en eut 21 de moins. Cette victoire à l’arrachée (si on peut dire) lui a valu d’être la détentrice définitive du record, puisque, la mode s’étant finalement épuisée, on ne retenta plus jamais ce genre d’événement sportif. Que pense Lisa aujourd’hui de son record ?
Pour être totalement transparente avec vous tous, cet événement est la seule chose que je regrette d’avoir faite en plus de 23 ans dans l’industrie de la porno. C’est aussi le seul job que j’ai accepté de faire uniquement pour l’argent. Ne vous méprenez pas, j’adore les gang bangs […] Cependant, cet événement n’a jamais été quelque chose que j’avais prévu, et tout l’événement a été un véritable shit-show. J’aimerais que ce sujet disparaisse et que nous passions tous à quelque chose de plus pertinent. Le gouvernement polonais a découvert l’événement et a menacé d’arrêter sur place toute personne impliquée. Les organisateurs ont donc déplacé l’événement dans un entrepôt tenu secret, où plus de 150 personnes différentes se sont présentées. J’espérais que l’événement ressemblerait au Houston 500, mais ce ne fut pas le cas. J’étais déçue, mais j’étais contente de rentrer chez moi et de ne pas passer de temps dans une prison étrangère. C’est aussi à cause de cet événement que ma page Wikipédia a été supprimée et je ne sais toujours pas pourquoi.

Vingt ans après, l’industrie de la pornographie a bien changé et il semblerait qu’aucune boîte de production n’a les moyens d’organiser de telles compétitions sportives, ce qui en soi n’est pas une mauvaise chose parce que presque toutes les femmes qui y ont participé ont estimé que c’était leur pire contrat de leur carrière – pas à cause des relations sexuelles multiples, mais bien à cause de contrats non respectés et d’organisation bâclée.

À demain pour un autre tercet obscène.
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