Mille gouttes opalines

Un senryū érotique chaque matin, pendant mille jours

Cinquante-troisième goutte

Si Karai Senryū
Se retourne dans sa tombe
Ce n’est pas ma faute.

Le senryū est un poème qu’on pourrait qualifier de haïku comique, satirique, subversif et mordant, qui a été popularisé au XVIIe siècle à Edo (actuelle Tokyo). Véritable témoignage d’une époque et de ses mœurs, il est encore pratiqué par les travailleur·euses et les étudiant·es qui en composent pour critiquer leur quotidien avec une bonne dose d’humour. Ainsi que par certaines écrivaines érotiques québécoises – mais ça, c’est une autre histoire.

À la fin du 16e siècle, les livres se diffusent au Japon grâce aux planches d’imprimerie rapportées de Corée après la guerre d’Imjin (1592-1598). Cela permet de diffuser les haïkus à grande échelle et cette diffusion entraîne une remise en cause du genre. Trop aristocratique, il restait jusqu’alors réservé à une certaine élite. Mais une école, formée à Osaka, va décider de bouleverser les codes et de s’éloigner du modèle de poésie classique : il s’agit de l’école Danrin. C’est la première étape de sa transformation et de sa récupération par le peuple, qui ne va pas tarder à en faire l’un de ses instruments d’expression littéraire favoris.

Le genre qui naît de cette évolution se nomme le Maekuzuke et il s’agit pour les poètes de compléter avec leurs propres mots (sous la forme imposée de 7 syllabes + 5 syllabes) un poème existant de 5 syllabes (le Kasa) proposé par un arbitre-poète, lors de concours annoncés dans les librairies ou dans les salons de thé. Bien vite, les compositions tendent à l’humour et le fait que des prix (bol de riz, saké, argent, etc.) soit offerts transforment la participation en véritable compétition, entraînant paris et jeux d’argent. Cela mènera, quelques années plus tard, à l’interdiction de ces concours par les autorités pour éviter les dérives liées aux paris et la corruption.

Karai Senryū

Dans ce cadre, un arbitre va se démarquer, pour la qualité de ses jugements et ses choix de poèmes : il s’agit de Karai Senryū, de son vrai nom Karai Haciemon (1710-1790). Il privilégie les réalisations qui parlent au plus grand nombre, et celles qui témoignent d’un sens de l’observation très pointu. Bien vite, les concours qu’il organise rencontrent un succès fou et de quelques centaines de participants en 1757, à ses débuts, on passe à plusieurs dizaines de milliers à peine vingt ans plus tard. Sa qualité d’arbitre lui vient de son métier de nanushi, une sorte de juge de quartier, qui lui permettait de côtoyer le peuple et d’en observer les caractéristiques principales. Fin observateur, il fait preuve de sévérité, mais possède plus de légitimité que bien d’autres arbitres. C’est ainsi que durant trente ans, il va s’employer à choisir les meilleurs des senryū, qui seront regroupés dans une série de 167 recueils connus sous le nom de Yanagidaru et publiés de son vivant et bien après son mort, jusqu’en 1838.

À demain pour un autre tercet obscène.

Si l’envie vous prend d’appuyer financièrement ce projet, n’hésitez surtout pas à le faire!

Vous désabonner

Participez à la discussion !

En savoir plus sur Mille gouttes opalines

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture