Mille gouttes opalines

Un senryū érotique chaque matin, pendant mille jours

Cinquantième goutte

Le genre que je
Pratique fut tué par
Cinquante nuances.

C’était la rentrée scolaire et je m’étais rendue à la seule librairie indépendante de ma ville acheter (à la dernière minute) les cahiers d’exercice de ma fille, en me diant : «Tu es fauchée comme les blés, ma vieille, alors c’est le moment parfait pour oublier tes malheurs en dépensant l’argent que tu n’as pas sur des romans érotiques». Je suis passée devant le rayon de la littérature générale, celui du théâtre et de la poésie, j’ai tourné le coin près du rayon des romans policiers et juste après celui de la science fiction, tout en bas (à hauteur des yeux d’enfants, trololo), j’ai trouvé celui de la littérature érotique. Trois tablettes de bouquins, alors en théorie j’aurais dû en avoir assez pour l’argent que je n’ai pas.

Hélas, tous les titres (sauf deux Sade et le recueil de Dompierre – qui curieusement ne pense jamais à moi quand il se met à la recherche d’auteures érotiques québécoises, mais ça c’est une autre histoire) sont encore tous des spinoffs plus ou moins avoués de Fifty Shades of Grey. Tous la même présentation graphique à la con, tous le même genre de titre sirupeux, tous le même genre d’intrigue: une femme rencontre un homme mystérieux et dominateur qui l’initie aux plaisirs de la soumission, ce qui leur fait tous deux découvrir l’amour.

Combien de fois allez-vous essayer de me vendre Cendrillon en version soft-BDSM? La sexualité humaine se résumerait-elle maintenant aux nounounes beige pâle qui se font tapoter l’arrière-train par des douchebags en veston-cravate-ténébreux-mais-si-sensibles? Qu’est-ce que je fais, moi, si j’ai envie de lire autre chose qu’un hybride entre un roman Harlequin et le catalogue de S&M-Depot? À qui est-ce que je dois apprendre que Fifty Shades of Grey a été publié il y a maintenant douze ans et qu’il est temps d’en revenir? Aux auteurs? Aux éditeurs? Aux distributeurs? Aux libraires de ma région-pas-vraiment-éloignée-en-banlieue-de-la-capitale-et-donc-à-la-frontière-de-nulle-part qui m’ont habituée à ne jamais trouver ce que je cherche? Je ne sais plus qui blâmer, alors j’ai décidé de tous vous engueuler, sans exception.

Vous avez laissé Fifty Shades of Grey tuer le genre littéraire que j’aime et ça, je ne vous le pardonne pas. Est-ce ma faute à moi, lectrice trop gentille qui ne se plaint jamais et qui continue à dépenser l’argent que je n’ai pas sur des œuvres de commande insipides et insultantes pour le peu d’intelligence qui me reste et qui ont été créées par des gourous du marketing pour un public-cible dont je fais selon eux partie?

Combien de temps vais-je devoir attendre avant qu’on passe à autre chose, bordel à queue? Et pourquoi, depuis ce foutu Fifty Shades à la con, je ne trouve plus en librairie les classiques du genre? Pourquoi faut-il que je les commande sur le web avec la carte de crédit que je n’ai pas? Comment se fait-il que la plupart d’entre eux soient épuisés et que je doive les acheter usagés dans les bouquineries qui ferment l’une après l’autre? Est-ce une conspiration de Porn Hub pour que j’abandonne le matériel masturbatoire que j’aime tant pour me mettre à consommer leur merdre audio-visuelle? Est-ce trop demander que la lectrice de littérature érotique que je suis sois traitée avec le même respect que les lectrices de fantasy, d’horreur et de polars? Qu’est-ce que diraient les amateurs de fanstasy si tout ce qu’ils trouvaient en librairie était des versions quasi-identiques de A Song of Ice and Fire? Ou si les geeks ne pouvaient lire que des romans de l’extended universe de Star Wars? Et qu’est-ce qui se passerait si j’arrêtais de remplir ce texte de phrases interrogatives?

Tiens, je vais parler en termes que les génies de l’industrie culturelle sont à même de comprendre : LA MÉNAGÈRE DE QUARANTE ANS N’EST PAS CONTENTE DU TOUT. LA MAMAN EST TANNÉE DU MOMMY PORN, QUERISSE !!!

Surprise surprise, elle n’est pas assez idiote pour continuer indéfiniment d’acheter votre camelote bâclée écrite avec un stylo dans le trou du cul. Il ne suffit pas de mettre une cravate et des menottes en couverture pour qu’elle vous lance frénétiquement l’argent qu’elle n’a pas. Et surtout : FUCK CENDRILLON! Offrez-moi donc de la littérature pour adultes… pour adultes. 

(Quand je pense que je me plaignais quand Marie Gray monopolisait les rayons de littérature érotique des librairies de ma région… ça me semble maintenant un âge d’or lointain et révolu.)

À demain pour un autre tercet obscène.

Si l’envie vous prend d’appuyer financièrement ce projet, n’hésitez surtout pas à le faire!

Vous désabonner

Participez à la discussion !

En savoir plus sur Mille gouttes opalines

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture